À l’issue d’une compétition qui a rassemblé près de 400 dossiers, le jury du prix Fidal de la photographie documentaire a finalement départagé les cinq finalistes en attribuant la prestigieuse distinction, dotée de 20 000 euros, au photographe Philippe Chancel.

La deuxième édition du prix Fidal de la photographie documentaire s’installe dans le paysage des nombreux prix photo avec une proposition singulière. Richement doté d’une bourse de 20 000 euros, il offre aussi une denrée rare : le temps. Le lauréat dispose en effet de deux ans pour réaliser le projet sur lequel il a été choisi. Philippe Grollier, premier photographe distingué par ce prix, prend toute la dimension de ce privilège, étant lui-même à mi-chemin de sa série Peacewall, réalisée dans la périphérie de Belfast, en Irlande du Nord.

Les cinq finalistes retenus pour cette édition avaient des profils et des écritures très différents, et les sept membres du jury ont eu du mal à trancher tant le niveau était élevé. Heureusement, le fait de recevoir chacun d’eux en entretien individuel, ou en visioconférence pour ceux qui étaient à l’étranger, a permis de mieux expliciter chaque démarche. C’est Arno Brignon qui a ouvert le bal avec un projet sur les États-Unis qui associait diverses écritures photographiques. Kourtney Roy lui a succédé en proposant de travailler sur un sujet beaucoup plus grave que ses précédentes séries dans lesquelles elle se met en scène. Le troisième candidat, Arnau Blanch, a ensuite expliqué son enquête photographique basée sur des documents d’archives associant histoire personnelle et histoire politique, un dossier particulièrement détaillé. Puis, c’est en direct de Delhi que Johann Rousselot a présenté son projet sur la paysannerie en Inde, un pays – ou plutôt un sous-continent – dont il arpente les villes depuis plusieurs années. Enfin, c’est Philippe Chancel qui a fermé la marche avec la poursuite de sa série Datazone, entamée il y a une douzaine d’années.

Débats vifs, passionnés, argumentés

Outre Philippe Grollier, lauréat de la précédente édition, le jury était composé d’Anne Racine, responsable du mécénat au Jeu de Paume, de François Cheval, ex-directeur du musée Niépce, d’Éric Karsenty, rédacteur en chef de Fisheye, et de l’équipe de Fidal composée de Dominique Davodet, président du conseil de surveillance, ainsi que de Catherine Auvolat et de Jean-Étienne Chatelon, avocats. Après une heure de vifs débats, passionnés et argumentés, où la voix de François Cheval analysait les problématiques de chaque candidat avec finesse, le jury a finalement choisi d’attribuer le deuxième prix Fidal de la photographie documentaire à Philippe Chancel pour son projet Datazone.

Il est difficile de résumer ici le parcours de cet artiste reconnu internationalement, présenté aux Rencontres d’Arles, au Centre Pompidou et à la Biennale de Venise, entre autres, et dont les œuvres font partie de nombreuses collections à travers le monde. On soulignera juste que la nouvelle étape de son projet Datazone se focalisera sur la ville de Marseille. « En me rendant dans les quartiers Nord de la ville (les 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements), je veux donner un horizon au sens propre, une visibilité autre à ces zones dans lesquelles la vie des habitants est, d’un côté, livrée à un quotidien commun à tout un chacun, et d’un autre, ancrée dans une réalité faite de difficultés inhérentes à leurs conditions d’existences. Je veux me familiariser avec les grandes cités mises à l’écart de la “ville du bas” que sont, entre autres, la Castellane, la Busserine, la Solidarité, les Flamants ; mais aussi les quartiers comme Sainte-Marthe, Saint-Louis ou encore Saint-André. »

Explicitant le sens de sa démarche, le photographe précise : « Datazone dessine une constellation reliée par 14 localités géographiques traversant les villes ou des régions du globe. (…) Inspiré du roman Interzone de William S. Burroughs et d’un principe d’écriture fragmentaire, le cut-up, conçu comme un moyen de transgresser les frontières mentales par le cheminement labyrinthique des régions encore inexplorées, Datazone met en pratique sur le terrain une mise en lumière des dérives actuelles du champ politique, social dont les zones que j’explore me paraissent symptomatiques. » Un projet qui a mené Philippe Chancel aux quatre coins du monde, de la Corée du Nord à Haïti, en passant par l’Afrique du Sud, le Japon, les États-Unis ou l’Antarctique, et qui fera prochainement étape dans la cité phocéenne.